J’ai voulu voir Chablis et j’ai bien vu Chablis. J'ai voulu voir les De Moor, j'ai vu les De Moor, J'ai voulu voir Pico, j'ai vu Pico. On voulait du soleil et on a eu de la pluie. Chauffe Chauffe ! Mais Un super moment...comme toujours !
Visite éclair chez Thomas Pico
Rendez-vous est pris pour rendre visite à Alice et Olivier De Moor à Courgis. Un petit village de 250 habitants situé au sud/sud-ouest de la ville de Chablis. En voiture pour 3 heures. J’arrive mardi 18 avril vers 11h dans ce village bourguignon typique et fonce d’abord au chai du Domaine Pattes Loup, dirigé par Thomas Pico. Vu sur le chai du domaine Pattes Loup (Thomas Pico)
Ce dernier est en train de finir un embouteillage de son Vin de France (2016). Il s’arrête 5 minutes pour me faire visiter rapidement le chai et la cave d’élevage en sous-sol. On le sent très nerveux et préoccupé. Dans la conversation, j’apprends que les nuits qui s’annoncent vont être très fraiches, avec un gel prévisible de la vigne. Quand on sait ce que les Chablisiens ont vécu en 2016, je comprends aisément son inquiétude. Il est vrai que j’ai été surpris par le froid en sortant de la voiture. 5 minutes plus tard, on déguste en 4ème vitesse quelques bouteilles de 2015 ouvertes et Thomas m’explique qu’il tente de temporiser le plus possible la vente des 2015. Son Vin de France en 2016 est un assemblage de raisins bio qu’il est allé chercher un peu partout dans le sud de la France en septembre et octobre 2016. « Sans ça je mettais la clef sous la porte, car entre les investissements, les 8 salariés, et la retraite de mon père… » L’inquiétude est palpable. Puis sans transition, il me dit : « avant je ne voulais pas vendre sur internet car je privilégiais les cavistes physiques mais maintenant beaucoup vendent aussi sur internet alors si tu en veux, je peux t’en vendre 18 bouteilles. » 15 minutes après mon arrivée, je repars et lui dit que je passerai mercredi matin pour prendre les bouteilles plutôt que de les balader toute la journée dans la voiture. « Tu peux venir à partir de 7h30, j’embouteille. A demain, désolé, j’ai pas beaucoup de temps… ah ! et au fait, pour casser la croûte, tu peux essayer un nouveau restaurant à Chablis : les Trois Bourgeons. Il vient d’ouvrir, il est tenu par des chefs japonais. »
Déjeuner à Chablis
Alice m’a demandé de la rappeler en début d’après-midi. Donc du temps j’en ai un peu, un peu plus que prévu même vu la visite éclair chez Thomas... ☺ Alors je passe récupérer les clefs de ma chambre dans le village chez Mathilde pour repérer les lieux et être tranquille de ce côté-là. Direction Chablis sous un beau soleil et un vent glacial. Le restaurant est rapidement trouvé et je m’installe devant la cuisine sur le bar face au chef et à son commis. Ce sera le menu du jour 100% poisson me concernant : tartare de daurade et cabillaud aux légumes primeurs. Un moment calme où je plains en silence toutes ces personnes qui voyagent, déjeunent et dînent seules une bonne partie de la semaine. Bouuh… pas envie moi ! 30 minutes plus tard, café avalé, addition réglée, je reprends la route de Courgis par des chemins de traverse. Dans cette région, les vignes commencent à peine à montrer leurs feuilles, les sols pierreux et les très nombreux traitements en font un paysage lunaire. Alice me dira plus tard dans la journée que c’est la période la moins verte mais que c’est aussi celle qui ne ment pas. On voit tout de suite qui traite ou pas (quasi tout le monde en fait ☹ ).Tournée des vignes du domaine De Moor
Je retrouve Alice chez eux vers 14h30 comme convenu et on tente de se caler un petit « programme vignes » tout en se disant que les averses prévues ne nous permettront pas de tout faire. Allez hop, en voiture pour les vignes de Chitry ! Petit village juste à la limite de l’AOC Chablis qui n’a pas voulu se ranger côté Chablis afin de continuer à travailler les autres cépages : pinot noir et aligoté. Du coup nous sommes en appellation Bourgogne et ce sont les vignes qui procurent les raisins de la cuvée Bourgogne Aligoté et Bourgogne Chitry. Une autre parcelle sur le lieu-dit Chatillon vient compléter les bourgognes. Nous y retrouvons Olivier en train de descendre les fils. Le soleil est revenu, nous sommes à l’abri du vent, plein sud sur un coteau assez en pente. On est bien. En face, la forêt. La discussion s’enclenche de nouveau sur les nuits prochaines qui seront déterminantes et stressantes : gel ou pas gel. Je sens derrière leurs années d’expériences (plus de 20 ans) une envie de dire on peut rien faire, cela ne sert à rien à l’avance mais là aussi le visage est tendu. Et comment ne pas l’être ? Alice et Olivier ont eux aussi rien produit en 2016 : gel puis la terrible grêle de mai 2016. Eux aussi sont allés faire des achats de raisins bio dans le Sud chez des copains … On repart, petit arrêt au-dessus du Village de Courgis (beau point de vue). Alice m’indique où se trouve le coteau de Rosette (aujourd’hui avec des clôtures pour lutter contre les chevreuils) puis je lui demande ce que sont les grands champs verts tendres que l’on voit plus loin. « Une expérimentation de filets anti-grêle, mais on va y aller car nous en avons installé aussi ! ». Et hop direction ces étranges filets vert foncé ! Le principe est assez simple, le rang de pieds de vignes est isolé de chaque côté (parallèle) d’un filet (très tendu) aux mailles très fines mais ajourées. Le grêlon tombant d’un côté ou de l’autre vient rebondir sur le filet. Il s’agit d’une expérimentation et donc pour le moment toléré. A suivre, mais les filets sont prévus pour 10 ans. A 15 000 € l’installation, il vaut mieux ! Départ en direction du village de Chablis sur une petite route à la sortie de Courgis pour rendre visite à la vigne qui nous offre la fameuse cuvée « Humeur du temps ». Parcelle assez importante qui s’est d’ailleurs récemment agrandie en récupérant des vignes (actuellement en conversion pour 3 ans).
Nous revoilà partis de l’autre côté de Chablis en direction des grands crus pour voir une vigne en premiers crus qu’ils louent depuis fin 2016 à des amis, ces derniers ne pouvant pas s’en occuper pour le moment. Autour de cette parcelle et sur ces coteaux, des bougies sont en train d’être installées au milieu des vignes. Déjà presque deux heures que nous parcourons leurs parcelles. Alice De Moor m’explique qu’entre les vignes qu’ils possèdent, celles qu’ils traitent en location et celles qu’ils traitent pour le négoce, cela fait un total proche de 10 ha, avec des distances approchant 25 km d’une extrémité à l’autre… Enfin nous repartons vers leur nouvelle acquisition de la fin 2016. En effet la SAFER a mis en vente 4 ha de premiers crus (Vau-de-Vey, proche du village de Beine). Il ne s’agit pas de ventes aux enchères mais bien de présenter un dossier complet. Visiblement celui des De Moor était convaincant, avec l’appui de leur banque et l’arrivée d’ici 2 à 3 ans de Romain, leur fils ainé (actuellement en stage chez JF Ganevat). Alice et Olivier ont pu acquérir 92 ares (0,92 ha). La grimpette sur ces coteaux est impressionnante, une pente de… 55° environ ! Comment peut-on travailler de telles pentes ? Visiblement certains viennent ici néanmoins avec des tracteurs ! Olivier préfère pour le moment le chenillard. C’est bluffant… J’ai bien cru (1er) que j’allais y passer plusieurs fois en redescendant. Alice, elle, me dit que non, elle ne souhaiterait pas venir ici en tracteur, d’ailleurs, ça tombe bien, elle ne sait pas les conduire !
Dégustation au chai
Entre 2 averses et parce qu’il n’est pas possible de tout voir (les Saint-Bris, Clardy,..) nous retournons vers 17h15 à Courgis pour la dégustation des assemblages et des cépages non assemblés encore pour le moment. En gros, le millésime 2016 de nos amis Alice et Olivier De Moor sera du négoce. Après le terrible orage de grêle du 27 mai 2016 et les gelées de printemps… « la fourmi se trouva fort dépourvue quand le temps des vendanges fut venu ». Alice m’explique la logistique de malade pour faire au total 8 allers-retours dans le Sud acheter des raisins ou parfois des jus : camion frigorifique, camionnettes, camion-citerne avec parfois des changements de dernière minute. Au total, des raisins blancs de copains (liste non exhaustive) : Viognier de Michèle et Maxime Aubéry (Gramenon), Chardonnay et Viognier de Gérald Oulstric (Mazel), Clairette et Grenache blanc (Emile Hérédia), Grenache Blanc et Bourboulenc (Eric Pfifferling), Roussanne (Eric Texier), etc. Nous attaquons donc la dégustation de ces cépages, à la pipette pour au moins une bonne vingtaine. Leurs idées, faire des assemblages, des mariages et trouver le bon équilibre pour donner une touche « De Moor » : du peps dans le vin, de la fraîcheur. C’est un exercice compliqué qui va se jouer dans quelque temps. Pour moi, peut-être la possibilité d’isoler un fût et du coup faire une cuvée unique avec des raisins d’un domaine du Sud, vinifié par Alice et Olivier… 2 heures plus tard, et une petite goutte de Rosette 2015 (encore en élevage), nous sortons à l’air libre, le sol est détrempé, une averse est passée par là. En sortant, j’ai dans la tête pleine d’images de leurs voyages d’achat de raisins pour sauver leur année 2016. J’ai dans le ventre les douleurs et les angoisses qu’ils ont vécues et qu’ils risquent de vivre de nouveau, dans les 2 nuits prochaines. J’ai dans la tête la générosité, pour le temps accordé, j’ai dans la bouche les parfums de ces cépages sudistes vinifiés, élevés comme des enfants.Le dîner
Pas le temps de repasser me faire « une beauté », nous retrouvons Olivier chez eux. Alice check ses emails. Olivier revient avec des bouteilles de dégustation de 2015. Alice s’affaire pour préparer un dîner en refusant que nous l’aidions. Nous dégustons (buvons, ici) les vieux Aligoté 2015, Humeur du temps 2015, Clardys 2015, Saint-Bris 2015, puis sur la salade, un saumur blanc 2013 de Mélaric, sur le plat, Olivier est tout content d’ouvrir et boire un Fleurie Vieilles Vignes 2009 d’Yvon Métras que j’ai apporté. Ils me disent que la dernière fois qu’ils ont bu une bouteille de Manu Houillon-Overnoy, c’était le jour de la grêle (27 mai 2016) alors par superstition, on n’ouvrira pas cette autre bouteille apportée par mes soins. Nous avons des discussions sur l’écologie, le bio, le village qui se vide, l’école qui ferme et tous les 1/4h Olivier regarde la température extérieure, rappelant des faits, croisant température et heure… Le gel possible est dans tous les esprits. Avant de les quitter, Alice me rappelle que j’ai la fin de l’allocation à récupérer demain matin. OK sans problème, je serai là à 8h15 au chai. « Si tu te dépêches, tu auras encore la lumière dans la rue, à 23h extinction des feux dans le village ». Une bonne nuit, un grand merci et à demain.
Quelques minutes à pied dehors dans un froid glacial, 23h passe, la nuit noire tombe. Me voilà avec la lumière de mon téléphone pour me guider jusqu’à mon lit. Quelle journée bien remplie. Que de belles personnes !